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Le Logis du "Bâtiment"

 
 

 

Le logis du Bâtiment

Une maison d’artiste où vibrent de concert histoire et création

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De la musique, des festivals, un quartier des artistes, un jardin… et aussi une maison. A Thiré, en Vendée, le logis du Bâtiment est un repère bien connu des visiteurs. Donné par William Christie à la Fondation Les Arts Florissants – William Christie en 2018, il occupe une place centrale et fédératrice dans ce projet mêlant musique, jardins et patrimoine – une place proche du cœur, où se reflète toute l’étendue et la cohérence d’une vision artistique et intellectuelle unique.

Le Bâtiment n’est pas une maison comme une autre. Entièrement réhabilité par William Christie, il s’agit à la fois d’un logis du XVIIe siècle, où le visiteur peut découvrir l’esprit de l’époque, mais aussi – et surtout – d’une maison d’artiste qui témoigne d’une personnalité bien singulière : celle de son (re)créateur. Car il existe une affinité profonde entre le travail de William Christie sur la musique, et son empreinte laissée sur le Bâtiment. Comme pour le répertoire musical du Grand Siècle, l’artiste s’est ici pris de passion pour un patrimoine oublié, dévalué, celui de l’architecture rurale vendéenne qu’il a pris le soin d’étudier dans le plus grand respect de son histoire, pour lui rendre ses lettres de noblesse… tout en lui imposant sa marque toute personnelle, avec la liberté qu’on lui connaît. Exactement comme dans ses interprétations baroques.

Aujourd’hui, le Bâtiment s’inscrit pleinement dans le projet de la Fondation. Lieu de vie, d’accueil et aussi de musique, il permet à de jeunes artistes et chercheurs du monde entier de venir nourrir leur inspiration, par la fréquentation d’un art de vivre traversés par cet « esprit baroque » auquel William Christie a consacré sa vie. Et faire ainsi l’expérience d’une recherche créative globale, où musique, architecture, peinture et jardins s’entrecroisent pour faire (re)naître l’âme d’une époque.

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Histoire d’une renaissance

Bâti entre la fin du XVIe siècle et le début du XVIIe, le Bâtiment est par de nombreux aspects caractéristique des logis français de l’époque. Son architecture d’une grande sobriété, à la fois noble et rustique, reflète bien l’art de vivre confortable qui était alors prisé des familles nobles dans les campagnes françaises, comme en témoignent les murs de pierre épais, les fenêtres à meneaux, le beau volume des pièces, les plafonds à la française et surtout, les nombreuses cheminées monumentales. Dès sa conception, c’est donc à un destin cossu qu’était promis le Bâtiment ; mais l’histoire devait en décider autrement – pour le moment du moins. Cheminées non enduites, âtres intacts, sols rudimentaires… tout porte à croire qu’un événement interrompit le cours de sa construction laissée inachevée. Car dans ce XVIIe siècle marqué par les guerres de religion, les revers de fortune ne sont pas rares : à la suite du siège de La Rochelle, qui dura de 1627 à 1628, nombreuses furent les familles protestantes à être déchues de leurs titres et privées de leurs biens. « Désennobli », sans doute le Bâtiment fut-il alors entraîné dans le déclin de ses premiers propriétaires. Il changea donc de main, au profit d’une famille catholique qui le transforma en métairie pour en tirer un revenu agricole. Durant plus de trois siècles, des métayers se succédèrent ainsi entre ces murs ; jusqu’en 1983 où les derniers d’entre eux quittèrent les lieux.

Lorsque William Christie le découvre en 1985, le Bâtiment est laissé à l’abandon. Seules deux pièces sont aménagées pour l’habitation, tandis que les autres répondent à divers besoins de stockage et d’abri pour les animaux. L’actuelle bibliothèque est un fenil où l’on garde le foin, le Grand Salon, un chenil pour les chiens et la Galerie Rouge, une étable pour les vaches. Mais pour William Christie, le coup de foudre est immédiat :

« Quand je l’ai vu pour la toute première fois, le lieu correspondait parfaitement à ce que je recherchais. Je ne voulais pas d’une maison en parfait état, je voulais une maison riche en possibilités. »

Dès l’acquisition du Bâtiment, William Christie se met à pied d’œuvre pour redonner vie à ce logis contemporain du siècle qu’il affectionne. Comme pour une partition à redécouvrir, ses soins vont d’abord au respect du langage de l’époque – un langage là musical, ici architectural et décoratif qu’il étudie consciencieusement par des lectures nourries et le conseil de spécialistes. Mais surtout, par l’observation. Car la longue dormance des pierres a protégé le Bâtiment, laissant intactes de nombreux traits caractéristiques de son époque, souvent altérés dans d’autres logis de la région. Les volumes, l’agencement des espaces, les portes, les fenêtres ou encore les cheminées : beaucoup de composantes architecturales du lieu sont préservées dans leur forme originelle.

Puis vient le temps des aménagements décoratifs, dès les années 1990 et jusqu’en 2018. Car tout musicien qu’il est, William Christie a aussi l’œil d’un architecte et d’un historien d’art, d’un connaisseur et d’un collectionneur – des goûts découverts puis nourris par lui depuis le temps de sa formation au Collège de Harvard. C’est donc en connaisseur informé qu’il il imagine le nouveau visage du Bâtiment. Avec l’aide d'artistes et d’artisans de premier ordre, l'intérieur se dessine, poutres et plafonds sont habillés d’une vibrante polychromie sous les mains du peintre décorateur François Roux, et les pièces accueillent peu à peu les meubles, tableaux, livres et objets réunis par lui au fil des ans... tandis qu’hors des murs, le paysage est façonné en une collection de jardins idylliques. Le bâtiment renaît d’une nouvelle vie.

 

Une singulière maison d’artiste : visite guidée

Si William Christie respecte les codes, c’est pour s’en affranchir, jouer avec eux et se jouer d’eux. Homme de théâtre, il conçoit au Bâtiment un décor aussi éclectique que ses passions personnelles, tout comme dans ses jardins. Une tension créative dont témoigne la forme actuelle du logis, et qui donne à chaque pièce une âme si singulière… tout en réservant aussi quelques surprises !

Grand salon et salle à manger

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Dès l’entrée, le visiteur est frappé par les proportions monumentale des cheminées de pierre qui ornent ces deux pièces. Très en vogue dans la France du XVIIe siècle, elles indiquent un certain soin apporté au confort : les proportions sont généreuses et les formes cossues, à l’image d’un art de vivre aisé tout en restant rustique, que l’on pourrait qualifier de débonnaire. Cet esprit se retrouve également dans le traitement en polychromie des poutres et des plafonds. William Christie et le peintre décorateur François Roux ont entièrement inventé cet ensemble pictural, en s’inspirant d’exemples glanés dans des demeures alentours. La chatoyance des couleurs – bleu et jaune pour le grand salon, vert et rose pour la salle à manger – et la richesse des motifs s’allie ainsi à un imaginaire campagnard, charmant et naïf. Bonne chère et vie rurale s’affichent sur le plafond et le manteau de cheminée de la salle à manger ; les ornementations fleurissent sur les murs du grand salon. Mais ces peintures sont aussi le lieu, pour William Christie, d’imposer subtilement sa marque… Dans ce décor typiquement XVIIe, ne distinguerait-on pas les initiales WLC, celles d’un certain William Lincoln Christie ? Et sur les poutres du grand salon, ne seraient-ce pas là les outils du musicien-jardinier – pelles, flûtes et partitions ?

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La bibliothèque

Voilà une pièce qui fait des infidélités au XVIIe siècle. Et pour cause : les éléments de cette bibliothèque sont signés 1900 ! Façonnés pour la réserve des livres rares de la Bibliothèque municipale de Nantes, ces hauts rayonnages de bois sombre et précieux ne trouvaient plus leur place dans les nouveaux aménagements décidés par la ville. William Christie en fit alors l’acquisition, pour leur donner une deuxième vie en les ajustant à cette pièce désormais consacrée à l’étude. A cet ensemble étonnant, les lambris posés sur toute la hauteur des murs confèrent un aspect plus spectaculaire encore, de même que les bustes de philosophes disposés çà et là. Car les dimensions comme la place centrale de cette bibliothèque montrent bien l’importance du savoir pour le maître des lieux, dont témoignent aussi les nombreux ouvrages rassemblés ici. Acquisitions nouvelles, anciens héritages : ici les livres de la famille Christie, venus tout droit des Etats-Unis, s’enrichissent de la bibliothèque de William, nourrie au fil des ans. Une collection où se lit en creux la vie intérieure de l’artiste, à travers ses passions essentielles : la musique, les jardins, et l’histoire de l’art.

Galerie rouge : le salon de musique

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Dans cette grande galerie d’une vingtaine de mètres de long créée dans l’ancienne étable, le rouge est la couleur dominante. Une tonalité chaleureuse, à laquelle contribuent aussi les tapisseries aux murs, les appliques et lustres en laiton, ainsi que le coffrage en bois de l’imposante cheminée, que viennent rehausser le blanc et le bleu des faïences de Delft et des porcelaines de Chine. Echo du XVIIe siècle, cette importante collection de « chinoiseries », comme on appelait alors ces précieuses céramiques, témoigne du goût de l’époque pour un certain exotisme dans les décors. Mais ici le voyage imaginaire ne pousse pas que vers l’Orient… En apportant au Bâtiment certains meubles venus de chez ses parents à Buffalo – comme par exemple la grande pendule de facture américaine – William Christie affirme ses origines et inscrit le grand Ouest dans la mythologie des lieux. Sans rien ôter d’ailleurs à l’effet d’harmonie, le goût du XVIIe anglais s’accordant très bien au français ! Les murs eux-mêmes portent la marque de sa personnalité : sous forme de cartouches peints, des citations latines livrent quelques maximes chères aux yeux du chef d’orchestre, choisies chez Virgile, Salluste, mais également La Rochefoucault, penseur du XVIIe dont les mots par souci d’harmonie sont ici traduits en latin. Les tableaux jouent également un rôle important dans cette pièce – parfois appelée la « portrait gallery ». On y trouve en effet un ensemble de peintures choisies par William Christie, où la thématique musicale domine avec des portraits de musiciens – parmi lesquels le compositeur Etienne de Moulinié (1599-1669) ou le haute-contre Pierre de Jélyotte (1713-1797). Car plus que tout autre lieu du Bâtiment, la galerie rouge invite, par ses volumes et par son acoustique, à recevoir des visiteurs et à jouer de la musique. Et quand viennent les beaux jours, la grande porte vitrée s’ouvre sur un jardin conçu comme un prolongement de cet intérieur : le bien nommé « jardin rouge ».

Des enfers de la cave aux plaisirs du jardin

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Avec leurs perspectives, leurs couleurs et leurs inspirations, les jardins qui s’étendent derrière les fenêtres du Bâtiment en façonnent aussi les intérieurs. Cela est particulièrement vrai dans la salle à manger d’été. Situé dans la ligne directe du Miroir d’eau, et ouvrant sur la grande terrasse en surplomb des parterres d’ifs, ce lieu de transition offre un accès aussi bien aux jardins qu’à la cuisine, à la salle à manger ou à la galerie rouge – dont la porte encadrée de deux statues de faunes musiciens indique bien la vocation. Mais une autre entrée attire encore l’œil : celle de la cave. Plongeant dans le sol, son escalier en pierre de taille est mis en valeur par un étonnant décor associant peinture murale et trophées de chasse. Pourrait-on lire ici l’évocation d’une autre inspiration chère au XVIIe siècle – le monde mythologique des Enfers, des nymphes et des Bacchanales ? Sur les murs fortement enduits, dont l’aspect brut contraste avec les autres pièces du Bâtiment, la corne et l’os des trophées d’animaux créent un jeu de matières saisissant. Voilà que s’éveille alors l’écho d’un imaginaire antique, nourri par la vue des jardins où l’on s’attendrait presque à voir surgir un faune, et sonner les premières notes d’une pastorale. Ne sommes-nous pas au théâtre ?

 

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