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Dans l’« atelier » du maestro Christie : entretien croisé avec William Christie et Emmanuel Resche-Caserta

4 mai 2023

Figure bien reconnaissable des Arts Florissants, le violoniste Emmanuel Resche-Casterta a gravi les échelons au sein de l'orchestre des Arts Florissants, où il occupe aujourd'hui le rôle de premier violon. Il devient désormais assistant musical de William Christie. Avec le chef d'orchestre, il évoque ici les affinités artistiques et la relation de travail privilégiée qui les lie...

Comment s’est nouée votre relation artistique ? Autour de quelles affinités électives – artistiques, culturelles, humaines – vous retrouvez-vous ?

Emmanuel Resche-Caserta : Nous nous sommes rencontrés il y a dix ans, en 2012. J'étudiais à la Juilliard School de New York, et j’ai remporté l’audition pour être premier violon lors du concert dirigé par William au Lincoln Center avec des étudiants de l’école. Le projet m’a galvanisé. C’était une période de ma vie où je m’interrogeais beaucoup – je n’étais pas sûr de vouloir me dédier à la musique – mais après cette expérience et surtout cette rencontre, je n’avais plus de doute. Si je pouvais faire de la musique avec une telle intensité, auprès de gens comme William et les artistes des Arts Florissants, alors je souhaitais y consacrer ma vie professionnelle.

William Christie : Emmanuel et moi avons en commun une manière de considérer les choses qui ne se limite pas à la musique : bien souvent nos conversations s’étendent à la peinture, la littérature, l’histoire, la sculpture… des choses essentielles pour que la musique puisse s’exprimer avec éloquence. On ne peut pas comprendre une époque sans son contexte ; de la même manière, on ne peut pas jouer une musique sans avoir quelques connaissances dans les autres arts qui existaient au temps de sa composition. Les Arts Florissants se distinguent d’ailleurs par le niveau intellectuel et culturel des musiciens qui composent l’ensemble : c’est une chose surprenante ! Chez Emmanuel, cette sensibilité est particulièrement poussée, ce qui contribue à notre bonne entente.

D’étudiant stagiaire à assistant musical de William Christie, comment s’est faite l’évolution d’Emmanuel au sein de l’orchestre ?

Emmanuel Resche-Caserta : J’ai commencé comme apprenti dans l’orchestre. À mon retour de la Juilliard, j’ai reçu une invitation pour jouer Platée avec Les Arts Florissants en 2014. Petit à petit j’ai été réinvité régulièrement et William a souhaité me donner un peu plus de responsabilités, d’abord comme chef des seconds violons, en petit ensemble de musique de chambre, puis comme violon solo depuis 2017. J’ai aussi assuré la direction artistique d’un des disque d’airs de cour des Arts Florissants, et en 2021 j’ai publié un recueil d’entretiens avec William chez Actes Sud. Tout cela a vraiment renforcé notre complicité. 

William Christie : Nous sommes un orchestre tout à fait atypique. Cela tient notamment au fait que les mêmes musiciens jouent ensemble un répertoire très spécialisé, dans des effectifs dont les tailles peuvent beaucoup varier. Ils se connaissent très bien et partagent une connivence qu’ils peuvent mettre à profit dans les grands ensembles. C’est cela, qui fait toute la différence. Combien de musiciens d’orchestre peuvent-ils dire honnêtement qu’ils jouent une musique aussi exigeante avec virtuosité et en connaissance de cause ? Jouer les Leçons de Ténèbres de Charpentier, puis la grande musique d’apparat de Gluck en l’espace de quatre jours, ce n’est pas commun !

Dans un ensemble aussi spécifique que Les Arts Florissants, que signifie d’être assistant musical ?

William Christie : Emmanuel est là pour accompagner l'élaboration de certains programmes musicaux. Il s'assure aussi de la composition de l’orchestre, ce qui requiert une bonne connaissance du répertoire et de la curiosité. Par exemple, il choisit la musique instrumentale des programmes avec chanteurs. Il est très réconfortant pour moi de me dire que j’ai quelqu’un pour m’assister qui répond à tous ces critères. Je suis aussi très heureux d’avoir un violoniste pour assistant : il peut prendre en charge les cordes afin de proposer une plus grande homogénéité esthétique, en maîtrisant la technique requise. Cela me donne beaucoup plus de liberté, tout en nous permettant aussi un travail plus complet.

Emmanuel Resche-Caserta : : Mon rôle est également de faire travailler l’orchestre quand William n’est pas là. Et quand il est là, j’ai aussi une liberté : lorsqu’il sent que l’orchestre a une idée propre à exprimer, il me laisse mener, même en concert. Cette confiance est très touchante, elle est essentielle dans le fonctionnement de notre orchestre. Je sais quelle est la direction qui correspond à son esthétique, non seulement parce que je le connais bien, mais aussi parce qu’il s’agit de la direction que je voudrais naturellement prendre. Je peux donc me fier la plupart du temps à mon jugement, car nous partageons les mêmes goûts

William Christie : Chacun se souvient de ce moment tout à fait étonnant, il y a une quarantaine d’années, où Bernstein a dirigé l’Orchestre philharmonique de Vienne sans faire un seul mouvement – ce qui n’a pas empêché les musiciens de continuer à jouer, et merveilleusement bien ! Mais cela, c’était grâce à la présence d’un premier violon qui savait faire bon usage de son indépendance. Ici comme dans tous les grands orchestres, un premier violon peut véritablement nourrir l’interprétation d’une œuvre. Il s’agit à la fois d’une question de responsabilité et de liberté.

Emmanuel Resche-Caserta : Une analogie me plaît beaucoup, pour parler de notre mode de fonctionnement, c'est celle de l’atelier de peinture. Lorsqu’on écoute un concert des Arts Florissants, même à la radio, on reconnait un style ; de la même manière, on retrouve dans la toile d'un grand maître - comme par exemple Rubens - une certaine patte, reconnaissable entre toutes. Cela tient à ce que le grand maître a su imposer une marque clairement identifiée, mais aussi à ce qu’il existe autour de lui tout un atelier qui a été formé à ce même goût et qui est en mesure de préparer la toile, les couleurs... Et dans tout atelier, il y a un artiste en qui le maître a suffisamment confiance pour lui confier certaines finitions. J’ai toujours aimé le fait de pouvoir reconnaître, dans certaines œuvres, des détails qui ne sont pas de la main du maître mais de celle d’un des membres de son atelier. La filiation est claire, mais l’on perçoit aussi une personnalité propre. Voilà mon modèle, en quelque sorte : je me sens tel un artiste de l’atelier de William Christie, capable de défendre l’esthétique de la maison. 

Quels sont vos prochains projets ? et comment envisagez-vous l’épanouissement de cette collaboration, dans les années à venir ?

Emmanuel Resche-Caserta : Ce mois-ci paraît le disque l’Allegro, il Moderato e il Penseroso de Handel chez Harmonia Mundi. C’est une pièce à laquelle William tient beaucoup, dont l’enregistrement est le fruit de cette collaboration : j’ai préparé l’orchestre, écrit le texte du livret, participé activement à l’enregistrement et au montage du disque. La saison prochaine, nous avons un autre grand projet : Médée de Charpentier, qui sera donné à l’Opéra de Paris et qui demandera un grand travail de préparation avec l’orchestre des Arts Florissants. Avec William, nous aimerions aussi pouvoir donner à l’orchestre une certaine indépendance, en programmant des œuvres menées depuis le violon. Par exemple, une intégrale des concerti grossi de Handel, des actes de ballet de Rameau, ou de petits opéras.

William Christie : Le fait qu’Emmanuel m’accompagne comme assistant concerne bien sûr tout l’orchestre, qui a reçu cette nouvelle de manière très positive. Elle a aussi remporté l’adhésion de Paul Agnew, qui travaille à mes côtés comme co-directeur musical et dont l’avis est essentiel pour toutes les décisions qui touchent aujourd’hui au bien de notre ensemble. Nous connaissons actuellement un renforcement de la solidarité au sein de l’orchestre. Il est composé de merveilleux interprètes, des nouveaux, mais aussi des anciens qui sont là depuis plus de trente ans. Et tous jouent ensemble ! La force de notre ensemble est son côté « famille » – et cela, c’est très important.

 

Propos recueillis par Marie Lobrichon le 15 avril 2023

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