Byrd : Messe à cinq voix

"William Byrd fut l’un des compositeurs préférés de la reine Élizabeth Ière. En montant sur le trône en 1558 après la catholique Mary Tudor, Élizabeth avait rétabli la foi protestante en Angleterre – s’inscrivant ainsi dans la continuité de son père Henry VIII et du schisme opéré par lui avec l’Église de Rome. Cela n’empêcha pas Byrd, malgré sa proximité avec la cour et la monarchie, de préserver sa foi catholique fermement ancrée jusqu’à sa mort. Mais le règne élisabéthain devait bientôt limiter la tolérance envers la relative pluralité religieuse dont l’Angleterre avait joui jusqu’alors, et Byrd se retira de la cour en 1593 pour s’établir à Stondon Massey sur les terres d’un riche aristocrate, Sir John Petre. Les Petre étaient des catholiques réfractaires, et Byrd écrivit ses trois messes à 3, 4 et 5 voix à l’usage de cette famille. Il se risqua à publier ces œuvres, mais sans la dédicace habituelle à un bienfaiteur – en effet, à qui eût-il pu dédier une musique devenue illégale, sans mettre en danger la personne même qu’il souhaitait honorer ?

Le contexte de la composition amène à s’interroger : qui pouvait interpréter une telle musique en de telles circonstances ? Certainement pas un grand chœur masculin comme on pouvait en trouver dans les Collèges d’Oxford et de Cambridge ou dans les cathédrales d’York ou de Londres. La messe latine y avait depuis longtemps été bannie. Un tel culte, forcément secret, n’aurait certainement pas pu être interprété dans une chapelle, mais plus probablement dans une maison privée avec quelques chanteurs seulement. Sans doute la musique était-elle chantée par une voix seule pour chaque partie du chœur, et également interprétée par des femmes – contrairement à la tradition de l’époque, qui consistait à confier les parties les plus aigües à de jeunes garçons, dont l’entrainement aurait été impossible dans de telles circonstances. Nous sommes bien loin de l’image idéalisée de la grande tradition chorale anglaise.

Par cette reconstruction, nous souhaitons exprimer la beauté de la musique composée par l’un des plus grands compositeurs d’Angleterre, mais aussi communiquer un peu de l’atmosphère d’une messe célébrée en secret, en un temps où les convictions religieuses allaient de pair avec une certaine prise de risque – et parfois même, un danger mortel."

Paul Agnew